
Par Hella Ahmed) Certains attestent sans relâche de leur grand cœur, comme s’ils exigeaient de vous une admiration mêlée de soumission. Ils semblent vous sommer d’accueillir leur bonté, de vous ouvrir à leur lumière éclatante, presque envahissante. Ces personnes, qui brandissent leur générosité comme un étendard, méritent d’être observées avec prudence. Car souvent, celui qui cause du tort avec acharnement, puis se drape dans une posture de sainteté, est tout sauf sain. Il sait manipuler pour effacer ses méfaits, se parant d’une vertu ostentatoire. Le signalement moral, le déballage de tranches de vie où l’on joue le sauveur, l’inondation verbale d’une empathie débordante : tout cela n’est que façade. On parle, on parle, on se pose en Jésus, jusqu’au sourire narquois du sadique qui savoure son triomphe à la fin d’un discours larmoyant.
Qu’est-ce que l’empathie ?
Durant les études en psychologie, par exemple, les enseignants nous sensibilisent longuement à cette notion. Ils nous invitent à réfléchir à la manière d’entrer en relation avec ceux que nous souhaitons aider, ces personnes qui comptent, d’une certaine manière, sur nous, intervenants et futurs professionnels de la santé qualifiés pour exercer. Ils nous aident aussi à identifier nos propres lacunes en la matière. Car, en effet, ils jouent un rôle déterminant dans la sélection de ceux qui auront le privilège de poursuivre une maîtrise ou un doctorat en psychologie – non pour devenir des figures religieuses, mais pour approfondir leur apprentissage et apporter un soutien concret à ceux qui en ont besoin et le demandent.
Cependant, ces choix ne sont pas toujours objectifs. Ils ne reposent pas uniquement sur les compétences, la capacité d’empathie ou la motivation des candidats. Parfois, des affinités, voire des amitiés, influencent les décisions. Certains accèdent à la profession pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’exemplarité. Le concept d’élite n’est pas récent, et dans les cercles de pouvoir ou d’argent, les réseaux se protègent et se favorisent. Cela dit, l’intégrité existe aussi. Des individus issus de milieux modestes, sans cuillère d’argent ou piston, parviennent parfois à se frayer un chemin, à force de mérite et aussi grâce à la chance quand elle veut bien.
Comme dans toute entreprise, la chance joue un rôle. Longtemps, j’ai jugé ce concept absurde pour finir par l’accepter sous une forme plus rationnelle que celle popularisée, mais après avoir constaté à maintes reprises l’existence de la malchance, je me résous à accepter que la chance ne se réduit pas au fond à une combinaison de préparation, d’action bien ciblée et d’ambition (comme je l’ai finalement pensée de façon logique pour remplacer dans mon intellect son côté ésotérique accepté dans l’usage commun). La malhonnêteté d’autrui, par exemple, ne dépend pas de nous. Certains choisissent de nous nuire, par pur intérêt, leurs actes sont leur chemin pas le nôtre, mais la malchance est notre souffrance.
L’empathie malaisante, dégoulinante!
Que cherche donc cette personne qui, dans un discours interminable, disserte sans fin sur son empathie, comme pour convaincre le monde entier ? Quelque chose de trouble se trame derrière ce spectacle d’affects dégoulinants, surtout lorsqu’il émane d’un(e) prétendu(e) soignant(e). Chez une personne au fonctionnement social ordinaire – ni antisocial, ni machiavélique, ni psychopathique –, l’empathie, qu’elle soit émotionnelle ou cognitive, est une composante naturelle de la personnalité. Les intervenants en relation d’aide n’ont pas essentiellement une empathie surdéveloppée, et l’hypersensibilité n’est pas une qualité pour cette profession. Parler sans cesse de soi et de ses émotions n’est pas le rôle des thérapeutes et des coachs. Ces derniers ne sont pas là non plus pour s’auto-psychanalyser en public et dévoiler toute leur intimité à leurs clients actuels ou potentiels. Il faut savoir doser dans ces métiers de proximité, ne pas tout déverser pour exister comme une marée.
Personnellement, je n’ai constaté cet étalage excessif de soi, sous prétexte de valeurs humaines universelles, que chez ceux qui cherchent à duper en saturant les esprits de leurs démonstrations d’empathie. Quel théâtre! Pourquoi jouer l’empathie au lieu de la vivre simplement, avec pudeur, sans en faire une marque de commerce ridicule ou une injonction à accorder sa confiance? Forcer l’admiration, la proximité ou l’abandon ressemble à un tour d’illusionniste cherchant à émerveiller n’importe comment. Ce n’est pas une manière saine et respectueuse d’établir un lien professionnel.
Proclamer sans arrêt son empathie comme une stratégie promotionnelle manque de crédibilité. Ces discours, souvent accompagnés de mimiques exagérées et d’histoires de sacrifices, mettent mal à l’aise. Ils trahissent une faiblesse, une volonté désespérée de convaincre à tout prix. On dirait une tentative d’engloutir, de vampiriser, de contrôler, comme si l’on voulait vous avaler, tirer les ficelles d’une marionnette pour briller seul sous les projecteurs. Tout le monde fait du business, c’est nous prendre pour des naïfs que de vomir une version désintéressée et exclusivement aidante lorsqu’il s’agit d’exercice lucratif dans le privé.
Fuyez l’empathie boiteuse et suspecte
L’empathie sincère, elle, ne s’exhibe pas. Elle ne cherche pas à rendre redevable. Elle est naturelle, discrète, vécue plus que proclamée. Dans le soin, en accompagnement thérapeutique ou en coaching, nul besoin de répéter qu’on agit avec empathie : on accomplit son travail avec assertivité, en communiquant cette empathie avec subtilité. Cela rassure, tout en encourageant l’aidé à se responsabiliser dans son processus de rétablissement ou de progrès, soit à s’engager à mobiliser du mieux possible ses forces, même fragiles, face à la maladie ou aux obstacles, parfois immenses.
L’empathie se manifeste dans les actes, dans la manière de se comporter face aux plus vulnérables et aux victimes: les souffrants, les démunis, les personnes âgées, les enfants, ou ceux présentant des particularités neurodéveloppementales, des handicaps physiques aussi. Elle n’est pas un mystère réservé à une élite. Accessible à tous, elle n’est pas un superpouvoir, mais une qualité humaine que les professionnels de la santé choisissent de mettre au service d’autrui, dans le cadre de leur mission. Impossible de soigner, d’accompagner en thérapie et coaching ou d’enseigner correctement sans empathie. C’est une nature à laisser s’exprimer en commun, à cultiver et à encourager avec tact.
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