
La sangsue déguisée en victime
(Par Hella Ahmed)Tu construis ton œuvre, tu travailles à devenir la meilleure version de toi-même en tant qu’écrivaine, et cette chose te regarde fixement, constamment, car elle n’existe que dans le reflet de ton existence. Évidemment tu rêves de l’écraser, de la réduire en bouillie. Ce n’est pas une amie, ce n’est même pas une ennemie digne de ce nom. C’est l’ordure que tu croyais avoir jetée au loin et qui, par un maléfice tenace, rampe encore jusqu’à toi chaque fois que tu veux vivre un jour nouveau sans cette démangeaison venimeuse plantée dans ta nuque pour épier ta vie, ton avancée.
Elle a peur de ce que tu pourrais devenir; elle hait ta réussite. Elle s’agrippe à toi comme une sangsue, puis retourne son ventre au ciel et gémit qu’on ne peut quand même pas empêcher un « cœur si pur » de s’incruster où bon lui semble. Elle pleure en public d’avoir été « abandonnée » tout en grattant ses croûtes de façon sadique, suppliant des inconnus d’embrasser les plaies qu’elle s’est infligées pour à tout prix se faire remarquer. Elle n’a pas la force de caractère nécessaire pour ne pas succomber à la pulsion perverse de transgresser. Cette chose, cette voleuse de corps et de sens, ne peut être réelle, elle n’a rien de solide sur quoi bâtir une identité propre, alors elle s’introduit et reste. Elle envahit et abuse.
Les stalkers harceleurs sont possédés. Ils ignorent les limites et osent pourtant te donner des leçons de savoir-vivre quand tu finis par les saisir à la gorge. Ils sont incapables de comprendre que tu ne leur dois rien. Rien. Ni reconnaissance, ni amour, ni la moindre miette de ce qui t’appartient. Ils sont allés trop loin, bien trop loin. Le monde ne tourne pas autour d’eux et “non” veut dire non. Il n’y a ni fusion, ni association possible, ni ressemblance, ni concurrence. Ils ont perdu il y a longtemps, le jour où ils se sont transformés en glu insensée.
La créature veut ronger mes côtes et nicher dans la cavité où mon avenir doit croître, tiède, à l’abri, tout près de quelque chose de vivant.
Je marche dans la neige, je regarde ce beau filet blanc qui habite l’atmosphère, mais je ne ressens plus ce que je ressentais autrefois ici, la poésie de ce moment frêle se dérobe, et ces rêves d’une vie plus belle sur cette terre même se sont dissous il y a déjà longtemps. Depuis que la stalker harceleuse s’est greffée à moi comme la peste, tout doit tourner autour d’elle, ma vie, mes écrits, mon tout. C’est un cancer tenace, on extirpe les métastases et il repousse, plus laid, plus vorace. C’est le genre de créature qui lèche l’assiette qu’on a jetée à la poubelle et se plaint ensuite qu’on n’ait pas cuisiné pour deux. Elle vampirise la passion et le temps, elle ressasse son insuffisance et son vice prétendument caché.
Partons, me dis-je à chaque pas. Partons là où aucun déchet humain ne pourra fourrer son nez dans notre décor, construisons quelque chose de grand loin de cette sangsue collante qui tente encore d’étaler sa bave sur toutes les pages blanches de notre vie. Guérissons du poison. Et je sais, je sais trop bien que cette ombre viendra violemment de nouveau se poser sur ma réalité, parce qu’elle ne peut survivre que dans ma lumière. C’est le mal travesti en peau d’emprunt, une ombre démoniaque sans la moindre honte.
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