
Ton look, c’est toute?
(Par Hella Ahmed) Une image intéressante à analyser qui a permis cette réflexion:
1- Beaucoup de super-riches plutôt louches s’habillent modestement de manière intentionnelle pour ne pas irriter davantage ceux qu’ils exploitent. C’est une stratégie visant à faire oublier à quoi leur sert, entre autres, l’argent qu’ils accumulent. ´Cette tactique est souvent adoptée par ceux qui se savent et se sentent coupables. D’autres riches – et je dirais même la majorité d’entre eux – assument pleinement leur richesse matérielle et leurs goûts luxueux qu’ils affichent sans retenue, qu’ils soient coupables ou non, tout simplement parce qu’ils ne ressentent aucune culpabilité.
Personnellement, je pense que c’est la manière dont on traite les autres qui confère à la richesse sa légitimité ou non. La richesse en elle-même n’est pas honteuse ; elle est même désirable, qu’elle soit héritée (et je ne parle pas ici des privilèges absurdes de la royauté, qui me semblent totalement injustifiables) ou acquise par des efforts individuels, une association, ou encore par la chance (loterie, concours, dons, cadeaux).
2- Il est également vrai que certaines personnes aisées choisissent volontairement de ne pas intimider ni mettre mal à l’aise celles qui n’ont pas les mêmes moyens qu’elles. Elles adaptent ponctuellement leur apparence en fonction du milieu et des personnes qu’elles fréquentent. Ainsi, elles évitent d’être constamment sollicitées par des demandes d’aide, où qu’elles aillent.
3- De plus, il arrive que des gens soient contraints de feindre la prospérité pour ne pas être moqués lorsqu’ils participent à des événements peuplés de « snobs », ces prétendus grands éducateurs de l’esprit. Cela ne trompe toutefois personne, car dans ces cercles très intimistes de privilèges et de privilégiés autoproclamés, chacun observe les autres à la loupe.
On ne peut pas simuler la richesse ou l’héritage : dans ces milieux, l’intelligence compte peu face à l’image. Ce qui prime, c’est qui vous connaissez et comment vous vous présentez à chaque occasion.
Par ailleurs, on vous tolère « en marge » si vous servez d’esclave intellectuel, faisant leur promotion pendant qu’ils vous exploitent en groupe. Ils vous acceptent à peine, ricanent en face de vous pour vous rabaisser et vous décourager de croire en vous-même, puis éclatent de rire dans votre dos lorsque vous repartez, blessé(e), après un énième bénévolat censé, un jour peut-être, légitimer votre présence dans ces chasses gardées.
4- Dans de nombreuses cultures (je pense par exemple à l’Égypte et à l’Inde, que j’ai étudiées par le passé sur cette question précise – sans intention de stigmatiser ni de généraliser, je me base uniquement sur des réflexions antérieures, non prouvées scientifiquement), l’apparence revêt une importance cruciale lorsqu’on vient d’un milieu populaire ou très pauvre. Elle est perçue comme un tremplin social pour briser le cycle de la modestie matérielle transmise de génération en génération et réécrire son histoire en se rapprochant de l’image du succès. Cependant, cela génère beaucoup de détresse, car les sacrifices sont immenses et, la plupart du temps, cette gestion des finances ne permet pas réellement de progresser économiquement.
De plus, dans beaucoup de cultures, les limites structurelles figent les classes sociales, historiquement bien délimitées. Franchir ces barrières pour s’infiltrer parmi les élites est presque impossible ; c’est aussi une question politique. La corruption reflète souvent une idéologie sociale ancrée dans la tradition et l’origine : une hiérarchie doit être préservée. Les apparences, aussi soignées soient-elles, ne suffisent pas à garantir le succès lorsque la base matérielle, qui assure la pérennité de l’effort, reste trop fragile.
5- Une apparence trahissant un manque de statut social hérité peut également entraver, dans une certaine mesure, la possibilité de procréer et de perpétuer sa lignée. Par exemple, une intellectuelle ostracisée par des envieux, des racistes ou des sociopathes aura beaucoup de mal à établir des relations avec les hommes, que ce soit pour les cadrer ou même les concrétiser. Le décalage entre une image qui ne reflète pas son potentiel réel et ses capacités suscite des attitudes dénigrantes de la part de nombreux hommes. Ces derniers interprètent son absence d’ascension sociale comme une faiblesse à mépriser ou une opportunité à exploiter, que ce soit sur le plan intime ou professionnel.
Il est plus facile de rabaisser pour abuser que de faire l’effort de réfléchir et, peut-être, finir par admirer des compétences bien réelles, malgré la violence des apparences et des préjugés qui servent à dominer. Ainsi, certains hommes préfèrent traiter une femme de « gold digger » à malmener – jugée indigne de respect en raison de sa prétendue mentalité de profiteuse paresseuse – ou de ratée ayant « manqué le train et l’avion », condamnée à servir les élites comme une esclave silencieuse.
En d’autres termes, lorsqu’une intellectuelle se voit privée de la reconnaissance sociale et institutionnelle qui devrait lui revenir de droit – les élites empêchant quiconque de vivre confortablement pour gagner en puissance et se reproduire –, elle est sabotée à plusieurs niveaux : matériel, amoureux et familial. Les hommes peuvent-ils vivre une situation similaire ?
Ce sont surtout les femmes qui, sous le joug du patriarcat, sont réduites à des objets sexuels. De l’autre côté, dans les sphères plus aisées et bien établies, elles ne sont sélectionnées et propulsées dans les hautes sphères professionnelles que par des liens familiaux ou amoureux – donc, encore majoritairement grâce au patriarcat, puisque le masculin domine toujours le monde.
- Pour les études universitaires contingentées, qui peuvent ouvrir les portes de la richesse et d’un statut social à transmettre à ses enfants ou à faciliter pour ses proches, la sélection ne repose pas uniquement sur les compétences et les réussites passées ; elle est aussi politique. Une limite de places sert de barrière pour empêcher l’élargissement indésirable des cercles professionnels. Des critères invisibles entrent en jeu : le nom, la famille, le pouvoir et l’argent constatés. Ainsi, on filtre et on perpétue un système favorisant les privilégiés, qui se passent le flambeau dans des cercles restreints et fermés. Tout le monde ne peut pas devenir psychiatre, par exemple, même en ayant démontré ses capacités, car c’est une profession de pouvoir et d’argent qui contribue à maintenir un certain ordre social qu’on ne veut pas voir bouleversé.
- En France, de nombreux médecins d’origine étrangère travaillent avec ferveur et vocation, mais ne portent pas le même titre que leurs collègues exerçant les mêmes fonctions, et leur rémunération est inférieure – une différence qui s’opère toujours à leur désavantage.
Les femmes, on les achète, on les maltraite et on les jette après usage lorsqu’elles ne sont pas celles à qui l’on offre tout ou beaucoup, avec amour et admiration, dans un tout autre scénario rendu possible par la lignée ou un heureux hasard. L’amour sans jugement et le don de soi existent, certes, mais ils restent rares dans un monde matérialiste dominé par les apparences et les mondanités. Le danger est donc plus grand pour les femmes libres, pensantes, qui intimident les hommes à la masculinité fragile par leur force et leur indépendance assumée face aux difficultés. Ces guerrières, dépourvues d’un réseau de proches ou d’alliés influents dans les milieux professionnels, intellectuels, institutionnels ou privés, manquent de soutien.
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