Le corps réquisitionné, une sexualité abîmée – Par l’essayiste Hella Ahmed

Narcissisme médiatique et chirurgie esthétique

(Par Hella Ahmed) Malgré de gros risques à prendre au plan de la santé lorsque l’on on a recours à des interventions chirurgicales invasives, on voit le corps humain être soumis à ce que l’on qualifie de perfectionnements pour que le summum de ce qui peut être exigé côté apparence physique ou esthétique à l’air du temps soit matérialisé. Ce phénomène me semble avoir fait de la recherche de la beauté une mission dérisoire, puisque tout est possible. Le réel s’est changé en irréel étant donné que l’on exige de l’autre de ressembler à un fantasme pour se sentir berné quand le fantasme devient une réalité trafiquée et de la sorte accessible.

L’irréel devenant un réel désiré puis négligé, le rapport à la sexualité en paye grandement le prix dans certains milieux. Il ne faudrait cependant surtout pas généraliser des problématiques que l’on retrouve dans des contextes précis pour faire un lien grossier entre nos communications modernes à l’ère des médias sociaux et une panne de sexualité saine. Ce ne serait que créer l’occasion d’intellectualiser une nouvelle condition humaine “dramatique” inexistante pour jongler inutilement avec des concepts. La sexualité n’est pas devenue malsaine avec la modernité, elle s’est adaptée aussi bien dans son expression saine que dans ses formes de dérive.

Entre réel et irréel, l’insatisfaction perpétuelle

Beaucoup d’hommes finissent non satisfaits face à ce qu’ils ont pourtant désiré, même réclamé ou financé. Ils veulent une jeune femme parfaite, avec une poitrine volumineuse, une taille fine et un postérieur bombé, mais diront tout de même que c’est du faux à ne pas glorifier si a elle bénéficié d’interventions chirurgicales importantes pour modifier son apparence et plaire, et qu’ils préfèrent le naturel selon un standard peu probable dans la nature.

Cette insatisfaction peut justifier à leurs yeux d’agir dans le sens d’une violence qui était latente, et de dénigrer dans la mêlée la représentation de la femme qu’ils ont discrètement ou ouvertement voulue plastique et fantastique, de lancer leur colère en des mots et des actes contre l’objet encore et toujours imparfait et l’être qui s’y retrouve brimé. Les femmes en paient donc largement le prix même si certaines d’entre elles sont carrément payées pour changer d’apparence physique. Et quand elles tombent dans l’excès, elles sont condamnées à la moquerie, bien que d’un autre côté reconnues pour leur capacité à dépenser et leur adhérence à des normes sociales que l’on associe au chic moderne.

Elles sont nombreuses à se transformer pour être désirables et désirées, mais ne plaisent plus vraiment toujours, ou à tous, au bout du compte. Maintenant, on leur demande de faire des choses bizarres pour satisfaire des besoins qui bien que liés à la sexualité me semblent plutôt traduire une nouvelle façon de concevoir l’humain devenu un robot domestiqué à traiter comme un animal de compagnie dont la souffrance n’est pas ou ne compte pas, un  humain machine que l’on nourrit et humilie, puisqu’il est prêt à tout pour gagner plus d’argent et s’offrir ce luxe affiché sur les réseaux qui semble si accessible à condition de faire des choix assez durs et de s’y tenir.

Le piège de l’excès

Les démonstrations de pouvoir de gens bien aisés qui font dans la bestialité ont grandement scandalisé en 2022. Toutes les limites sont dépassées, des images choquantes de pratiques innommables ont circulé sur la toile du net. Beaucoup d’influenceurs qui ont débuté dans le métier de l’influence en passant par la téléréalité ont d’ailleurs eu à  réfuter les rumeurs de bloggeurs les associant à des réseaux de prostitution hardcore à Dubaï.

Des demandes étranges, avilissantes et foncièrement illégales en échange d’importantes sommes d’argent remises par de riches clients ont été à l’origine de ces scandales de potinages. Aussi, les guerres entre bon nombre d’entrepreneurs d’images et de buzz ont été assez révélatrices durant les dernières années d’un malaise moderne, bien visible, qui conjugue envie, jalousie, entourloupes financières, guerres de territoire, de la détresse et une triste laideur se cachant derrière de belles apparences, de grandes réussites affichées, de prospérité, de santé et bonheur.  

L’argent et la déshumanisation du lien

Le besoin d’innover afin de décimer une insatisfaction toujours grandissante pour des gens qui ont tous les moyens et qui ne savent plus comment se soulager de leurs frustrations physiques et mentales a donc selon moi été alimenté par un exhibitionnisme normalisé avec les plateformes sociales. La capacité de s’afficher a encouragé les démonstrations de puissance qui nécessitent de réduire l’autre en objet à humilier. Cela m’amène à poser la question suivante : le choc du réel peut-il se passer en douceur pour le narcissique à qui sa finitude est révélée? 

Prendre conscience de sa fragilité en tant que parcelle vivante du peu séduisant « nous sommes tous égaux » ou encore tout à l’opposé, pour une frustration semblable avec le « nous sommes beaucoup à avoir de grands moyens », peut être perçue comme une insulte au prestige personnel. La modestie qui devrait s’imposer en tant que réaction normale à l’évidence n’est alors que répugnante pour la personne qui se trouve informée quant à sa nature humaine si commune. La consommation du corps et de l’âme de l’humain, machine objet, ainsi sa mise en soumission, vient faciliter la conservation d’une illusion au sujet de soi, dont l’effacement fut amorcé par l’effroyable prise de conscience. Une idée à revivifier au fur et à mesure qu’elle se fragilise, pour se protéger de l’effondrement de l’égo (Profils d’ombres et de lumières, Hella Ahmed, 2022. Tous droits réservés).


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