
(Par Hella Ahmed) Parmi les théories du complot, l’une prétend que de petits cénacles d’élites, pas nécessairement dotés d’une véritable érudition ou d’une culture raffinée, se réunissent en secret pour ourdir leurs desseins, un verre de grand cru à la main. Ils tracent les étapes de leurs ambitions, assignant à chacun des rôles précis : espionner, intimider, manipuler ou piller certains ; promouvoir, défendre ou mener au succès à tout prix d’autres. Ils orchestrent également le contrôle des médias dont les manoeuvres et l’influence ont un grand impact sur la visibilité, la crédibilité et le maintien au pouvoir des politiciens.
Loin d’être une exagération superstitieuse, cette croyance décrit une réalité observable. Dans certains milieux, l’exhibition d’une volonté de puissance par ces figures influentes est parfois criante. Leurs connexions et leurs méthodes établies se laissent aisément déceler.
Les vagues du succès
Il serait erroné de croire qu’un diplôme prestigieux ou un poste lucratif garantit une droiture morale ou une élégance d’âme. Bien au contraire, discourir sur de nobles causes dans les médias ne fait pas de quiconque une figure irréprochable, épargnée par les compromissions, la concurrence déloyale ou les rivalités mesquines, pour accéder à la tribune, toucher de généreux cachets et afficher le confort matériel comme un privilège exclusif.
Certains cercles, repliés sur eux-mêmes, se distinguent par un snobisme patent. Pourtant, leurs représentants s’adressent au peuple comme à des suiveurs qu’il conviendrait d’éduquer, de modeler, tout en leur intimant de ne pas aspirer à leur niveau ni convoiter leur prestige. Car, pour qu’il y ait des célébrités adulées, il faut des admirateurs éblouis, dociles et peu enclins à questionner.
Certes, telle ou tel peut être mandaté en de hauts lieux pour éclairer le public sur des sujets d’intérêt général, et il est légitime d’écouter. Mais le respect mutuel doit prévaloir. Les émissaires abondent dans tous les domaines, et l’argent public, n’est-ce pas l’argent du peuple ? Nul besoin, donc, de se sentir intimidé par ceux qui se croient supérieurs, eux qui prospèrent, voyagent en première classe et savourent des repas étoilés aux Champs-Élysées. L’argent circule de mille façons, mais c’est le public, où qu’il soit, qui en garantit le flux incessant.
Le monopole du discernement
La souffrance, les épreuves du passé – qu’il s’agisse de maladies graves, d’agressions ou d’autres drames – ne sauraient être un concours ni une voie royale vers la réussite matérielle. Certaines victimes taisent leur douleur, quand d’autres la partagent pour sensibiliser. Nul, pourtant, ne peut s’arroger le rôle d’arbitre ou de juge suprême sous prétexte d’avoir surmonté un drame et acquis une certaine notoriété.
C’est dans les milieux clos, où règnent l’élitisme et la surenchère, que s’installe une prétention au monopole du discernement, conférant une exclusivité sur la scène publique, la représentation d’une cause et, par extension, le succès financier qui l’accompagne. Il est louable de partager des opinions nuancées et constructives avec le monde intellectuel et le grand public. Mais cela n’octroie aucun privilège pour évincer ou écraser d’autres penseurs par appétit de gloire ou de visibilité.
Il est désolant de constater combien certaines femmes, surfant sur la vague du mouvement MeToo, se sont mises en avant avec une agressivité qui trahit une misogynie internalisée, ternissant ainsi l’essence même du féminisme. Ce dernier, lorsqu’il n’est qu’un paravent, devient une double immunité : un rempart contre les malotrus, parfois même une alliance avec eux, et un moyen de rivaliser sans scrupule avec d’autres femmes, sans crainte d’être suspectée ou remise en cause. L’humanité de façade triomphe alors.
Dénoncer l’instrumentalisation tout en instrumentalisant
Il ne s’agit pas de remettre systématiquement en cause toutes les figures portées aux nues, soutenues par des financements ou des réseaux puissants. Certaines exercent une influence positive, perceptible dans la réponse d’un public éclairé. Il convient toutefois de préserver un droit de regard critique sur ceux qui s’érigent en juges de la moralité ou en architectes du pouvoir en coulisse.Rarement tout noirs ou tout blancs, ils jouent souvent sur les deux tableaux, à la fois mus par des convictions sincères et attirés par un succès grandissant, sollicités par des opportunistes en quête d’ascension. Ils filtrent, selon leurs désirs et leurs principes, ceux qu’ils choisissent d’élever ou d’éliminer, souvent sans même s’en cacher.
Est-il réellement possible d’être une personnalité publique prospérant sur les vagues du « buzz » sans instrumentaliser autrui ou manipuler des situations ? Nombreux sont ceux qui s’instrumentalisent eux-mêmes, partageant leur vécu, leurs épreuves, leurs traumatismes ou leurs maladies pour accroître leur visibilité et leurs revenus. Les réseaux sociaux ont démocratisé cet art de l’intime, transformant le dévoilement de l’autre ou de soi en un métier lucratif pour nombre de créateurs et d’influenceurs.
Il existe pourtant une limite à ne pas franchir : celle de l’intrusion, de l’appropriation indue ou de l’exploitation d’autrui pour des gains personnels. Les partenariats non consentis, le pillage intellectuel, le « copycat stalking », les fixations obsessionnelles en quête de scoops ou de buzz constituent des dérives modernes, où l’éthique de la visibilité devient un enjeu majeur.
La voix de chacun
Il est des gens instruits, bardés de diplômes, qui n’ont rien d’original à offrir, tout comme certaines figures promues comme expertes trahissent un manque flagrant de savoir. Le peuple, loin d’être ignorant, ne saurait être réduit à un rôle de spectateur passif ou d’admirateur conquis. Les intellectuels qui n’œuvrent pas dans l’ombre pour façonner l’avenir des communautés, contrôler l’accès à la notoriété ou distribuer les richesses ne manquent ni de courage ni de ressources. Ils savent, en toute légitimité, pousser leurs questionnements jusqu’au bout, s’exprimer et se défendre face aux grands hérauts des vagues de buzz.
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