Le genre aux mains des extrémismes – Par l’essayiste Hella Ahmed

(Par Hella Ahmed) Se dire centriste serait-il considéré comme être un peu à droite ? On sait ce que l’extrémisme de droite véhicule, carrément ou avec un soi-disant tact. Se dire centriste n’a pas à être forcément perçu de cette manière, car il s’agit, pour beaucoup, d’une orientation liée à des considérations économiques. Il me semble aussi quelque peu difficile de se dire fermement de gauche, vu que le progressisme joue parfois à cache-cache avec le bon sens, en étant l’outil de ceux qui se rapprochent du peuple pour l’instrumentaliser, lui donnant l’illusion d’une vérité autre que celle que leurs adversaires de droite communiquent, alors qu’au fond, ils sont semblables à bien des égards.

Se recentrer, se retrouver

Sans parler de côtés, nous pouvons constater qu’actuellement, de nombreux encouragent à conditionner les enfants à se poser des questions sur le genre qui ne leur viendraient pas naturellement à l’esprit. Je pense à cette petite fille dans les nouvelles qui ne veut être ni genrée ni non-genrée, qui prétend n’être « rien » de particulier, peut-être pour se libérer de toute attente. Mais faudrait-il dire « petite fille » ou « ce petit être humain » ? J’ai spécifié « en général » pour éviter de généraliser de manière excessive; il est de la responsabilité des adultes d’écouter les jeunes et de reconnaître les particularités qui peuvent exister chez leurs enfants ou chez ceux dont ils ont la charge éducative. Ces particularités font partie d’un développement qui suit son cours normal.

Le terme « politique » est une bibliothèque avec plusieurs départements, mais j’ose simplifier, exceptionnellement, pour dire que la politique concerne surtout l’économie (notons que sans un bon revenu, vous n’existez pas pleinement; vous vivez de manière modeste ou frustrée, à moins que vous n’ayez choisi volontairement cette modestie. Quel bonheur, n’est-ce pas!). J’ajoute donc que la question du genre ne devrait pas être politisée. Je constate que le « centre » représente pour certains un moyen de se positionner en visant une neutralité qui respecte certains droits légitimes, y compris ceux des enfants. Cela ne fait pas pour autant de cette position un modèle de laïcité exemplaire, ni ne la place hors de l’atteinte de l’extrémisme religieux.

Le court de la nature

La nature qui s’exprime, le corps qui se forme et le « soi » qui se rencontre lui-même progressivement au fil de la vie, n’est-ce pas là le mouvement naturel ? La nature ne se trompe pas, elle est ce qu’elle est, agissant selon les principes biologiques et environnementaux. Le changement vient de nos choix éclairés lorsque nous sommes en mesure de les faire. Par expérience et observation, je sais que l’enfant choisit souvent ce que le parent choisit ou ce qu’il pense que ce dernier a choisi ou voudrait.

L’enfant choisit aussi, avec discernement et sacrifice de soi, ce qu’il doit choisir pour mettre fin à un chantage émotionnel ou à une angoisse persistante. Et si ce choix est volontaire, il n’est pas forcément sincère ou juste par rapport à un soi-même jeune, étant parfois le début de sérieux problèmes à moyen et long terme. Dans l’immédiat, l’adulte se calme, et c’est ce qui compte avant tout pour le jeune, qui peut se sentir responsable de rendre la vie plus facile à ses parents ou aux adultes qui l’entourent.

Religiosité et modération

La droite semble utiliser la question du genre comme un réservoir à protestations, souvent en lien étroit avec la religion. Je ne me suis pas positionnée sur cette question qui déchaîne les passions car ce qui se passe est choquant : l’extrémisme a transformé ce sujet en un champ de bataille, alors que je le trouve hors sujet dans certains contextes. Je ne vois pas le droit de choisir comme une condamnation à être influencé pour éviter d’être influencé relativement à son sentiment identitaire (que ce soit pour le genre ou pour la religion). Comment les enfants ne seraient-ils pas déboussolés face à tant d’options de choix qu’on leur présente comme possibles à un âge où ils dépendent de leurs proches, ayant besoin d’être rassurés pour que des croyances fondamentales comme la sécurité et la valeur personnelle puissent s’établir et les soutenir tout au long de leur vie?

On dira, en effet, que si on ne les autorise pas à valider des dimensions qui leur sont étrangères dans leurs environnements proches comme la famille, l’école et la communauté, comment peuvent-ils se sentir en droit de ressentir ce qui se passe dans leurs corps et de libérer leurs intentions par rapport à leurs orientations, sans se sentir coupables ou craindre d’être moqués et rejetés ?

Je crois que la modération, qui est souvent absente dans le virtuel, devrait continuer à exister dans notre réalité, laquelle ne se conçoit plus comme limitée grâce aux avancées technologiques et au progrès de la science des hormones et de la chirurgie. Ces outils peuvent aider à manifester votre image interne si vous souhaitez en faire le portrait visible de votre identité, à l’encre de vos rêves et de vos sentiments, pourvu que vous ayez les moyens de financer ces changements physiques. Une modération qui devrait persister et ne pas se redéfinir sans la moindre réserve ou prudence pour suivre l’air du temps qui prône toutes les libérations. Il y a un danger à qualifier de censure ce qui ne l’est pas, car la censure peut parfois provenir de cette phobie de normaliser les excès en pensant agir dans l’intention de recentrer.

Inclure l’enfance

Mon idée est que les enfants doivent être inclus dans un dialogue qui les concerne, sans être instrumentalisés pour être exclus au lieu de vraiment être inclus. Les bombarder de propositions et les soutenir dans des choix qui ne correspondent pas à leur âge, et qu’ils pourraient regretter plus tard, ne me semble ni salutaire ni protecteur de leur identité ou de leur liberté de choisir leur identité. Et il n’est pas vrai que ce que nous consommons dans les médias et ces images qui s’imprègnent dans nos mémoires pour influencer nos actions ne nous influencent pas; elles le font bel et bien.

Nous prenons des plis, nous affirmons notre individualité, et avec mordant, pourquoi pas ! Pour certains, l’excentricité est une philosophie de vie; la féminisation peut être révélatrice d’une créativité qui célèbre la diversité. Mais pour d’autres, la scène encore contestée du « déguisement spectaculaire et maquillage excessif » qu’on souhaiterait voir mieux intégrée dans les rassemblements familiaux et communautaires représente un bouleversement des ancrages culturels et religieux, qui pour eux sont des gages de stabilité. Face à la perception d’un danger, qu’il soit réel ou non, on peut se sentir lésé et, dans le pire des cas, réagir avec hostilité.

La laïcité

Aussi, les mots « diabolique » ou « démoniaque » qui nous plongent dans la fantaisie sont utilisés pour prétendre nous lier au réaliste et au concret afin de nous sauver. Ils sont en lien avec des idées que l’on ne saurait honnêtement considérer comme crédibles pour une cause ayant une base religieuse ou relevant de l’abstrait fantaisiste. L’absence de religion donne-t-elle plus de légitimité pour donner une opinion et la crédibiliser ?

Beaucoup de guerriers de la laïcité veulent dévoiler les femmes dans le but de les protéger du patriarcat, les guidant avec autorité comme si elles étaient incapables de raisonner par elles-mêmes, faisant ainsi un peu la même chose que ceux qui veulent les voiler. Par la même occasion, ils cherchent à abolir tout signe religieux qui risquerait d’influencer ou de choquer. Ce sont parfois ces mêmes personnes qui, avec ferveur, défendent les intérêts des représentants de certaines communautés religieuses qui s’imposent et s’exposent sans réserve, en passant par le chemin de l’activisme anti-discrimination. La laïcité serait-elle une histoire à double visage, qui ne connaît pas vraiment la parcimonie ?

L’opinion et la raison

Celui qui s’efforce de raisonner au lieu de donner son opinion, qui ne vaut pas plus qu’une autre, que le religieux soit impliqué ou non, est malheureusement parfois aussi celui qui met cette capacité en veille pour défendre des opinions « personnelles » quand bon lui semble, ne respectant pas la discipline qu’il prétend servir et utiliser avec sincérité. Quand la morale intervient en matière de genre, il me semble que cela devrait être avant tout pour placer le bien général et la liberté d’être soi-même au centre d’un questionnement qui gagne à être à la fois philosophique et scientifique. L’opinion invite des sentiments personnels dans le débat, mais lorsque cela se fait après des étirements intellectuels basés sur la logique et le bon sens, je ne vois pas le problème, tant que la violence gratuite n’en fait pas partie.

Mais encore, méfions-nous de la science racontée par l’opportuniste qui pratique le réductionnisme au nom d’un prétendu savoir à vulgariser pour le commun des mortels, et méfions-nous également des soi-disant philosophes qui jouent avec les mots pour servir des sectes et des extrémismes, agitant le chapeau troué de l’illusionniste malhabile. Le monde n’est pas crédule et les failles sont perceptibles par les gens éveillés.

La bienveillance

C’est avec un grand respect pour tous les humains et leurs choix en lien avec le genre que j’ai réfléchi à cette question. Je serai toujours pro liberté d’être et de devenir soi, c’est pourquoi la liberté et l’innocence me semblent être des questions importantes à aborder avec intelligence et délicatesse, pour veiller à ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes qui font de leur mieux au milieu de ces guerres et ces vacarmes, conséquences en grande partie de la technologie. J’ai d’ailleurs écrit un texte au sujet de la fameuse normalité et un autre au sujet de la liberté de n’être que soi pour exister à sa place avec sincérité qui expriment bien ma vision concernant l’identité et le consentement. C’est avec une bienveillance qui ne prétend ni moraliser ni avertir mais sensibiliser que j’ai écrit ce mini-essai.

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