Le temps d’exister

(Par Hella Ahmed) J’ai passé ma vie à écrire, à apprendre de tout et à créer. Il n’y a pas mille routes pour avancer et se réaliser, il n’y en a qu’une, sa propre route, celle que l’on poursuit envers et contre tout. Ma route, c’est la liberté.

La liberté m’a inspirée à sensibiliser au respect de ceux qui ne s’affichent pas comme étant parfaits et que la vie n’a pas toujours choyés. Elle m’a appris à valoriser les personnes que l’on met à l’écart, que l’on oublie dans des hôpitaux psychiatriques mal pensés et mal gérés, ou dans des ghettos, que l’on condamne à une vie « à moitié » à cause des préjugés et des abus de pouvoir. 

La liberté m’a influencée à inviter à découvrir des discours différents de ceux que livrent des gens qui ont perdu la notion du temps quand il en est du bonheur des autres, pour que ce soit toujours le temps de ne pas se laisser impressionner par leurs gros yeux ou appétits quand ils se donnent le droit de tracer des chemins bloqués. 

Des souvenirs vivants 

Année après année, j’ai pris le temps de voir mes idées prendre forme, je suis restée fidèle à la petite fille qui rêvait d’être une poétesse et une auteure qui partage sa vision tendre et lucide de l’existence dans un monde injuste à bien des égards. 

Je me souviens de mon premier professeur de français au primaire, un grand romantique fiancé à une collègue enseignante. Il savait combien j’aimais lire et mon sourire, quand je l’écoutais, traduisait mon admiration pour lui, pour sa patience, sa passion, son dévouement et surtout sa grande gentillesse envers son amoureuse. 

J’étais l’élève la plus fière au monde quand il m’invitait à dîner sous un arbre avec lui et sa douce moitié à midi. J’apportais un lunch préparé par ma mère et je partageais la table de mes grands amis, des gens qui respectaient mon silence persistant, qui devinaient ma sensibilité et mon dégoût de la violence, qui comprenaient qu’un jour j’allais écrire pour exister autrement. 

« Un jour tu auras moins peur, tu seras moins anxieuse », m’avait-il dit. Pour lui, j’étais normale même si j’aimais rêver, flâner dans la nature et chanter fort à l’école quand je croyais que personne ne m’entendait. Il respectait mon sens de la justice. Je rêvais de quand j’allais être grande, toujours capable de me défendre contre les parasites et les méchants.

Grandir .. des hauts et des bas 

En grandissant, le pire est arrivé pour me choquer avant que je ne réalise que les vautours humains ne s’attaquent pas aux carcasses mais plutôt aux vivants vulnérables et aux vivants qui se démarquent par leur singularité, leur originalité et/ou leur talent. J’ai croisé l’intimidation, le racisme et la pauvreté, l’élitisme et la stigmatisation, l’abus de pouvoir et la misogynie, le sabotage, les arnaqueurs de la pensée positive et le pillage intellectuel, etc. 

Lorsque j’étais dégoûtée, je me replongeais dans les souvenirs des soirs enchantés de ma tendre enfance, des soirées habitées de musique et des rires de ceux que j’aimais, parfumées des senteurs de jasmin et de romarin. Je souriais en pensant à toutes ces nuits où je craignais tant de fermer les yeux et où je finissais par m’endormir rassurée par la voix de mon père qui me berçait avec Victor Hugo, Rimbaud, Paul Éluard et Verlaine. 

Je me souviens des magnifiques rosiers pour lesquels j’avais appris à ne plus m’inquiéter les nuits où la foudre grondait pour m’impressionner et de ces matins frais où je redécouvrais le renouveau d’une nature toujours aussi belle, ainsi que le plus beau des tableaux, le visage de ma mère couvert de peinture ou de terre alors qu’elle était en plein travail à créer une nouvelle toile ou à planter des fleurs. C’était le temps d’exister, le temps d’aimer, le temps de s’émerveiller. 

 « Respirer aimer et ne surtout pas oublier », car «tout le temps perdu ne se rattrape plus et le temps à venir n’est jamais garanti ». 

Quand le temps s’arrête 

Exister simplement dans le moment, c’est être en état de saisir chaque bonheur passager, c’est respirer librement quand l’anxiété a grandement baissé, c’est diminuer l’anxiété en se donnant le droit de respirer librement pour justement pouvoir profiter de l’instant présent.

On vit parfois avec la « culpabilité d’être en paix », on croit que baisser ses gardes face au plaisir est une faiblesse, alors que c’est le plaisir qui nous fait sourire. Le temps nous appartient quand la honte que l’on peut ressentir à simplement être soi ne nous tient pas, quand notre niveau de conscience s’élève au point où l’on savoure pleinement le moment présent.

Il est chaque jour temps d’exister tout entier, avec ses forces et ses faiblesses, ses souhaits et ses regrets, temps de déchirer ces étiquettes mensongères qui dénigrent la singularité et imposent le monochrome à une vie que tout porte à être colorée, temps de normaliser la différence pour se libérer.

Et comme dirait la petite fille devenue auteure aujourd’hui : « Le temps passe et des rides se creusent sur nos visages, et quand on se regarde en face, ces lignes du temps devraient nous raconter l’histoire de notre liberté d’exister, pas le blanc du vide que les années passées à faire « comme si » ont laissé dans nos mémoires trouées ». 

Il est encore et toujours temps d’exister malgré la laideur que l’on peut croiser. Le beau est un rosier qui ne s’asséchera jamais, car le ciel veille sur lui et nous serons toujours très nombreux à l’arroser.  

Retrouvez ce magnifique texte publié en 2016 par l’auteure Hella Ahmed, parmi d’autres textes exquis, dans son livre Déconnectés? Respirez, paru le 21/06/2021 

Livre

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