Un peu de tout et n’importe quoi

Voyager ou ne pas voyager, est-ce la question? 

(Par Hella Ahmed) Nous pouvons avoir de l’empathie, de grands intérêts collectifs à protéger, une conscience sociale sans tomber dans la morale qui peut signifier tant de choses sous des angles différents, nous ne pouvons jamais être dans les chaussures de l’autre.

La personne exaspérée qui a peur et ne veut pas l’admettre, qui accepte apparemment la peur mais en tient pour responsable ceux qui communiquent son existence, n’est pas toujours le pauvre qui n’a pas bien réussi financièrement, qui n’a pas obtenu son diplôme et qui ne connaît que la taverne du quartier pour se dépayser. Même endroit, mêmes histoires. Nous sommes coincés dans nos vies, parfois même isolés, pour une tonne de raisons complexes, et l’argent en fait partie. À l’heure actuelle, tout le monde est en quelque sorte coincé lorsqu’il s’agit de s’éloigner de chez soi et ceux qui voyagent de toute façon prennent des risques.

Monsieur, appelons-le Rich, s’est retranché dans sa bulle dorée, il n’a pas peur du virus, il aime se présenter comme ayant bien plus peur des vaccins destinés à l’en protéger. Pourquoi? Car il est vacciné, mais dernièrement, au bord de sa piscine, il a découvert qu’il était positif. Il n’est pas en réanimation et vacciné deux fois, il est peu probable qu’il se retrouve aux soins intensifs, mais il a l’impression d’avoir été violé par la contamination et dupé par ceux qui lui ont assuré que son corps allait être protégé de l’intrusion du virus. Il encourage maintenant activement les gens à ne pas se faire vacciner bien qu’il l’ait lui-même fait. 

Quand vous êtes aisé, vous voyagez pour le plaisir, pour nourrir votre créativité et pour les affaires, mais quand vous êtes pauvre, vous pouvez vous permettre de vous opposer à la vaccination et d’être fidèle à votre opinion puisque vous n’irez nulle part parce que vous ne pouvez pas vous permettre de voyager pour le plaisir et les affaires, serait-ce la logique ? Maintenant qu’il est positif, M. Rich essaie soi-disant de marquer un point contre les vaccins au nom de la liberté. Mobilise-t-il la foule pour protéger la même liberté qu’il a lui-même accepté de réduire un peu en se faisant vacciner puisque c’était un choix contraint  afin de préserver son droit d’acquérir plus de liberté en voyageant pour le plaisir, pour nourrir sa créativité et pour les affaires qui enrichissent ?

Quand ce n’est pas le confinement sanitaire, pouvoir tout s’offrir et voyager pour ne pas endurer le jour de la marmotte dans la taverne du quartier, n’est-ce pas une grande liberté ? Ceux qui peuvent se permettre de voyager n’ont pas nécessairement une bonne hygiène bucco-dentaire ou un doctorat. Un homme assez riche qui l’année dernière considérait les porteurs du virus comme effrayants ou coupables de négligence m’a qualifiée à l’époque de psychanalyste pensant que la psychologie n’était essentiellement que cela. Ce fut un échange bref qui a un peu dérapé, car il était émotionnellement déconnecté et très pressé de faire ses valises pour un autre séjour de deux mois à Cuba.

Évidemment, dans le bon scénario, avec un doctorat ou un peu moins, beaucoup de portes s’ouvrent et il devient possible d’entretenir ses dents, de s’acheter une maison avec piscine ou un chalet douillet et voyager, mais ce n’est pas ce qui se passe pour beaucoup de gens qui méritent aussi une bonne vie. Nous aimons dire dans des discours positifs que tout est possible quand on le veut, mais nous savons que ce n’est pas vrai. Bien s’entourer nécessite des alliés et des personnes qui soutiennent au lieu d’envier. Oui, beaucoup de groupes exclusifs font l’éloge de l’inclusivité sans aucunement « réellement » appliquer ses beaux principes.

Être bien entouré ne dépend pas seulement de soi, c’est donné. Et ce n’est pas toujours une question de mérité ou pas. Si vous parvenez à surmonter les obstacles, vous devenez adulte malgré tout ce qui s’est passé, malgré la malchance et la violence, malgré la solitude et les difficultés. Les privilégiés ne valent pas mieux que ceux dont la vie a été moins que parfaite. Je ne sympathise pas avec ceux qui se vantent d’avoir un entourage protecteur et aimant, j’apprécie plutôt la démarche de ceux qui célèbrent cette réalité, car ils sont conscients de leurs privilèges.

La vie est un peu de tout et n’importe quoi.

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