
Si dénoncer n’est pas harceler, harceler n’est pas dénoncer ..
L’indignation et la colère peuvent accompagner la conviction qui mène à dénoncer sans détours, peut-être après avoir cru pouvoir dénoncer avec subtilité pour avoir de l’aide sans trop se prononcer. Il faut comprendre que les gens qui ne sont pas impliqués de façon intime, soit personnelle, auprès des victimes, ou qui ne sont pas les victimes elles-mêmes, ont tous leurs agendas professionnels et de notoriété à côté d’un quelconque combat dans lequel ils s’impliquent ou auquel ils se disent vouloir contribuer au travail, en faisant de l’intervention, en écrivant des chroniques ou en utilisant leurs médias sociaux pour prêter main-forte en tant que vedette, élu ou autre. « Personne ne vit d’amour et d’eau fraîche et surtout pas de haine dans la dèche », comme disait une brillante slameuse du Québec.
Tout travail mérite salaire
Il est tout à fait normal qu’un avocat soit payé pour son travail, qu’un journaliste compétent, qui comprend le principe d’objectivité, soit rémunéré pour ses enquêtes. Je pense aussi qu’un retour positif au plan de la réputation ainsi que financièrement pour les victimes qui dénoncent est tout à fait légitime et devrait même être souhaité par toute la société. Les victimes peuvent alors plus facilement se rétablir et reconstruire ce qui s’est affaissé dans leurs vies durant les difficultés.
Dénoncer aide les personnes en détresse, dans l’ombre, à se reconnaître dans le discours de l’autre qui se raconte, à trouver la force de sortir de l’impuissance acquise, et à espérer une vie lumineuse après la longue nuit de la tristesse et de la solitude. La sensibilisation par le storytelling et les témoignages ont depuis toujours fait leurs preuves dans le domaine de l’intervention, car elles rassemblent et participent à l’entretien d’une conscience collective mobilisée contre le mal.
Le bénévolat n’est pas obligatoire
Bien entendu, il existe des bénévoles et des militants passionnés qui font de leurs convictions le plan d’action d’une vie, mais lorsque vous êtes payés dans le cadre de vos fonctions, vous avez beau être convaincus, vous gagnez votre pain, et même plus que très bien, pour certains, grâce à des causes sociales et morales. Cela ne réduit absolument pas l’importance de ce que vous faites. Cet argument n’a pas pour objectif de diminuer ou de rabaisser une influence qui peut être positive, c’est simplement un recadrage afin que les considérations matérielles ne soient pas volontairement occultées pour les uns pour ne pas l’être pour les autres.
En d’autres termes, on ne peut obliger les gens à être bénévoles et faire que leurs contributions servent à alimenter les activités et rémunérations de ceux qui se rapprocheront d’eux pour emprunter leurs discours afin d’avoir de l’impact et de la visibilité dans le cadre de leurs fonctions, comme certains élus et entrepreneurs le font. Il est impossible de se montrer digne pour aller converser avec “des collègues de causes” en ayant l’air d’un(e) souillon, la pauvreté est une prison sociale dans laquelle on aime mettre ceux que l’on regardera de haut et qui finiront par eux-mêmes s’auto-stigmatiser et accepter l’esclavage jusqu’à même se sentir coupable de bien manger, oublions donc les restaurants de luxe, l’appartement au vieux port et les vacances à Tahiti ou aux Bahamas suivies d’un joyeux tour dans le Saguenay.
Notoriété et félicité
À l’ère du numérique, on veut être vu à tout prix, on veut séduire par le moelleux ou par la violence, par l’esthétique, par l’intrigue, par le charme ludique etc., les domaines sont multiples et les moyens ne sont pas toujours sains, bien qu’ils puissent franchement l’être, cela demeure un choix, notamment éthique. Les terroristes se donnent le droit de faire la loi au nom de leurs idées qu’ils ne conçoivent pas comme étant contournables et ils les appuient par le droit divin interprété à leurs façons, au nom de la vérité. Nous pouvons mettre tous ceux qui vous terrorisent directement ou indirectement afin de vous gâcher la vie dans cette même catégorie, oui, aussi bien les croyants que les non-croyants.
Nous pourrions disserter longtemps au sujet de « la vérité », mais je ne suis pas intéressée à faire du rébarbatif : qu’est-ce que la vérité? Qu’est-ce que ma vérité? Personnellement, ça m’ennuie. Actuellement, sur les réseaux sociaux, des gens violents nous parlent de justice sociale à rétablir et c’est comme si l’état se dilatait, des pirates s’y logent et on félicite « leur combat » qui bafoue le court normal de la justice. Encore une fois, il y a des justices que l’on peut se faire soi-même, mais la violence physique et la hargne qui mobilise les foules en crise, ne sont ni des façons de faire, ni des exemples à donner aux adultes, aux jeunes et aux enfants.
Dénoncer n’est pas harceler
Lorsque vous dénoncez, c’est pour que justice soit faite et qu’au moins, ou entre temps, les abus cessent. Ce qui est donc attendu est une réparation morale et/ou matérielle, mais est-ce que le peuple est supposé aller frapper sur des gens présumés innocents pour rendre une justice qui doit suivre un processus? Je ne suis ni avocate, ni juge, ni élue, mais je pense que la réponse logique est « non ».
Lorsque vous demandez poliment, puis beaucoup moins poliment, à quelqu’un qui s’obsède sur vous, ou qui s’acharne comme une sangsue à bénéficier de vos efforts et de votre entreprise, de cesser ses pratiques déplacées, et qu’il continue à mal penser et agir vis-à-vis de vous, le ton peut certainement monter et un doigt d’honneur est assez justifié. Vous dénoncez pour que les transgressions cessent, rester sur cette position est un droit légitime, même si la colère peut mener à exprimer avec une rigueur froide de grandes inquiétudes et un gros ras-le-bol.
Harceler n’est pas dénoncer
Nous avons vu des célébrités comme Lauryn Hill et Martha Stewart être poursuivies en justice pour ne pas avoir déclaré des affaires lucratives à l’état, elles sont quand-même aujourd’hui encore très appréciées par le public et continuent à exercer leurs métiers. Elles n’ont pas fait l’objet de compagnes d’incitation à la haine pour cette raison. Maintenant, s’il s’agit d’un R Kelly qui abuse des mineures avec arrogance pour se victimiser lorsque dénoncé, et que le peuple réagit fort, c’est tant pis pour lui. Et franchement, les images des révolutionnaires iraniennes en train de donner des baffes à des hommes faibles qui les pistent pour les dénoncer aux bourreaux me font immensément plaisir, qu’elles continuent et de plus belle.
Ceux qui harcèlent font tout autre chose que dénoncer, ils justifient leurs violences et leur avidité par le signalement moral, et ils reprochent aux autres ce qu’ils font eux-mêmes sous une couverture de bons sens. Ils éveillent la colère et le ressentiment de ceux qui les écoutent et les suivent, pour les employer à détruire leurs ennemis dans le but de les éliminer de la course, afin de répondre à leurs propres besoins : la volonté de puissance, des intérêts financiers et la subsistance de partenariats visibles, bien que camouflés.
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